THEORY
MASTERCLASS

ÉCRIRE L’ANIMATION : RICHARD NEGRE

Filmographie

La dérive

2021, 5’ 

Paysages intermédiaires 

2018, 9’ 

7 septembre 2014 

2014, 3’

27 décembre 2013

2014, 7’

Atelier 1.0

2013, 1’ 

L’exposition

2013, 4’

Une seconde par jour

2011, 7’ 

Géométries organiques 

2009, 3’ 

En attendant

2008, 3’

Sous l’escalier

2006, 5’

La forme et la couleur  

1999, 6’

 

Richard Negre : Je me suis dit que ça pouvait être intéressant de faire un balayage du parcours, qui se construit autour de la peinture et laisse la place progressivement à l’animation. 

Juste après mon bac scientifique, je fais une prépa et j’entre aux Gobelins où je découvre, grâce à François Darrasse, le cinéma expérimental de Len Lye. Et là, c’est une véritable révélation, d’un seul coup un champ des possibles s’ouvre et surtout un rapport à la peinture, à la forme animée, à l’énergie, au mouvement pour lui-même, sans qu’il y ait nécessairement une narration. C’est vraiment la première rencontre-choc.

 

Free Radicals de Len Lye

 

Ensuite la même année, je découvre une partie de la danse contemporaine – j’ai grandi dans le milieu de la danse classique – à travers le travail de William Forsythe, le chorégraphe américain. Une fois encore, une révélation sur le corps et ses possibilités formelles, rythmiques et transformationnelles. 

Quand j’arrive aux Gobelins, je me dis que tout ça est formidable. Mais en sortant des Gobelins, je me rends compte assez tôt que je n’ai pas les outils pour engager cette aventure d’exploration de la forme en mouvement. J’ai donc besoin de temps pour creuser, développer et mettre en place un langage plastique personnel. Il n’y avait qu’un seul chemin : la peinture. Donc, en sortant des Gobelins, je cours au Louvre et je passe 5-6 ans à faire de la copie de maîtres. Au pastel, sur le sol, place du Palais Royal, à l’huile sur toile : Corot, Rembrandt, Monsieur Bertin de Ingres…

 

D’après Corot, Caravaggio (pastel gras/macadam), Vermeer (pastel sec/papier), Giotto (tempera+huile/bois) et Rembrandt, Delacroix (huile/toile), Ingres (huile/toile).

 

Je poursuis avec Ribera – il y a très peu de peintures espagnoles au Louvre mais celle-là est exceptionnelle – et donc au passage, les touristes américains s’en emparent et j’en vends quelques-unes.

 

D’après Ribera, huile sur toile, 162 x 130 cm, 2001.

 

Et parallèlement je développe une peinture personnelle. Un travail, en atelier, d’éléments, de placement, d’agencement.

 

Huiles sur toile, 2001.

Huile sur toile, 60 x 60 cm, 2002.

 

Des voyages avec un chevalet : chaque voyage constitue une série de 10-20 toiles.

 

Huile sur toile (Budapest, Barcelone, Copenhague, Paris, Andorre), 2001-2002.

 

Uniquement une pratique picturale, pas d’animation.

 

Salle de bain, huile sur toile, 90 x 65 cm, 2001.

 

Des portraits : des amis, des gens rencontrés qui acceptent de poser.

 

Huiles sur toile, 2001-2002.

 

Hongroise, huile sur toile, 61 x 50 cm, 2003.

 

Arrive un voyage à Venise. 

En copiant la toile de Ribera, j’avais rencontré un Italien qui, lui, venait copier Nature morte à la tête de mouton de Goya. Et il me dit : “Richard, est-ce qu’on ne peut pas faire un échange d’atelier ?” Je dis “oui, c’est une bonne idée !” J’ai passé un mois à Venise. J’avais rencontré, juste avant de partir, un galeriste qui avait vu les travaux classiques – et donc j’emmène mon chevalet et j’arrive à Venise et instantanément, je me dis que ce n’est pas possible de peindre Venise comme ça. Il faut aller vers une simplification. Il faut aller vers une couleur plus directe, immédiate, telle qu’elle sort du tube. Vers une simplification des formes.

 

Gino, huile sur toile, 60 x 50 cm, 2003.

 

Grand Canal (Venise), huile sur toile, 60 x 50 cm, 2003.

 

Et quand je suis revenu à Paris, le galeriste a dit “mais ça ne va pas du tout, ce n’est pas du tout ce que je vous avais demandé.” Au moment de commencer la série vénitienne, je savais que je tirais un trait sur cette possibilité d’exposer.

 

Venise, huiles sur toile, 60 x 50 cm, 2003.

 

De retour à Paris, je poursuis les natures mortes, des agencements très influencés notamment par les compositions de Morandi.

 

Huile sur toile, 65 x 54 cm, 2003.

 

Huiles sur toile, 2003.

 

À chaque fois, c’est une forme de réaction, de lassitude qui s’installe et donc la nécessité de trouver de toute urgence une issue pour conserver le plaisir de peindre et de dessiner, qui est vraiment le moteur premier. 

 

Huiles sur toile, 2002-2003.

 

C’est pareil pour les portraits.

À l’issue de ces natures mortes, ce qui était plus intéressant et ce qui a fini par m’intéresser, c’était les éléments placés derrière, c’est-à-dire les bandes noires qui sont en fait des cartons que j’avais placés et que j’avais sous la main pour ne garder en fait que ces agencements. C’est simplement un travail de composition, de couleur. Il n’y a plus de sujet. 

 

Cartons agencés, huile sur carton, 40 x 40, 2003.

 

L’agencement de formes et de couleurs, mais toujours sur le motif. Ce sont vraiment des natures peintes sur le motif.

 

Cartons agencés, atelier d’architecte, Barcelone, 2003.

 

Ensuite, j’ai passé un séjour à Antibes et quand vous vous promenez dans Antibes ou dans d’autres villes de la côte, on entrevoit entre les maisons le ciel et la mer. Et cette idée de travail sur l’horizontalité et la verticalité est devenue le point central. Cette fois-ci je quitte le motif. C’est donc vraiment une peinture qui se fait en atelier avec simplement cette idée d’horizon et de matière. Puisque cette même année 2003, je suis parti au Mali pendant un mois et ça a été une rencontre avec la matière, la matérialité. Au passage – et je pense que ça a joué – j’ai rencontré Miquel Barceló, un peintre espagnol dont la peinture est très soutenue par la matière. C’est un travail de relief ; une peinture autant qu’un volume. 

 

Variada, Miquel Barceló, médias mixtes sur toile, 141 x 238 cm, 2016.

 

Je l’ai revu à Paris et j’ai pu lui montrer mon travail. J’ai posé pour un de ses portraits à l’eau de Javel sur toile noire, c’est un portrait qui se révèle progressivement : donc une expérience de partage. Au Mali on avait discuté et il m’avait offert du pigment et de la gomme arabique parce qu’il voyait que j’avais les carnets étalés dans les cafés.

 

Horizons, huile sur toile, 22 x 14 cm, 2003.

 

Découverte de la matière donc.

C’est un travail sur l’horizontalité, la verticalité, le rythme.

 

Horizons, huile sur toile, 20 x 20 cm, 2003

 

Horizons, huile sur toile, 40 x 40 cm, 2003.

 

Ce sont des formats très petits ou très grands avec un travail au sol où la toile n’est plus accrochée au mur mais posée au sol, permettant au moment de peindre, une circulation autour de la surface.

 

Horizons, huile sur toile, 116 x 89 cm, 2003.

 

Horizons, huile sur toile, 130 x 97 cm, 2003.

 

Une fois encore j’arrive à une limite de cette pratique et je me dis que je vais presque basculer dans l’annulation de la forme. 

 

Horizons, huile sur toile, 20 x 20 cm, 2003.

 

Qu’est-ce que je fais ? Est-ce que je vais encore plus loin, comme par exemple Claude Rutault qui repeint les toiles de la même couleur que le mur sur laquelle on l’accroche basculant ainsi dans approche conceptuelle ?

Et en fait non. Voilà une espace depeuplé, blanc sur blanc, qui peut à nouveau être investit. Parce qu’il y a encore eu des possibilités et donc, la forme revient.

Et cette fois sous forme de ce qui est peut-être déjà un mouvement à l’animation :  une série qui s’intitule Masses, avec l’idée de poids, de pesanteur.

 

Masses, huile sur toile, 116 x 89 cm, 2004.

 

Masses, huile sur toile, 162 x 130 cm, 2004.

 

Masses, huile sur toile, 150 x 150 cm, 2004.

 

Masses, huile sur toile, 150 x 150 cm, 2004.

 

Et en réaction à cette série, le besoin d’apesanteur et de quelque chose de plus aérien, issu de l’observation simple des nuages.

 

Nuages, huile sur toile, 92 x 73 cm, 2005.

 

Nuages, huile sur toile, 92 x 73 cm, 2005.

 

Nuages, huile sur toile, 92 x 73 cm, 2005.

 

Nuages, huile sur toile, 92 x 73 cm, 2005.

 

Nuages, huile sur toile, 90 x 70 cm, 2005.

 

Nuages, huile sur toile, 61 x 50 cm, 2005.

 

Même si je vivais de ma peinture, le problème, c’était que je peignais plus que ce que je ne vendais. Je me retrouve alors avec un problème de stockage. Je commence donc à peindre sur le mur.

 

Nuages, acrylique sur mur, 350 x 250 cm, 2005.

 

Et puis je voulais quand même garder un souvenir donc je prends une photo souvenir : une peinture, une autre, etc, et là, sans vraiment l’avoir cherché, l’animation revient dans ma pratique. Et ça donne le film Sous l’escalier, le premier court-métrage que j’ai envoyé ensuite en festival.

 



Sous l’escalier, 2006.

 

Et parallèlement à ça, je mets en place une pratique du volume :  de tout petits volumes, d’agencements.

 

Assemblages, bois, acrylique, 18 x 18 x 10 cm, 2005.

 

Assemblages, bois, acrylique, 23 x 18 x 10 cm, 2005.

 

Assemblages, bois, acrylique, 18 x 18 x 13 cm, 2005.

 

Assemblages, bois, acrylique, 18 x 18 x 18 cm, 2005.

 

Dans Sous l’escalier, il y a plusieurs étapes qui mènent jusqu’à ce grand volume.

 

Sous l’escalier, 2006.


Pour beaucoup d’artistes, chaque élément nourrit le travail à venir. Et ce qui m’intéressait ici, c’était les arêtes de ce volume. Et je me suis demandé comment on pourrait obtenir quelque chose de plus aérien, et donc en tendant des fils, en plaçant des points. Ici, c’est une drisse en coton teinté de pigment phosphorescent. 

 

Déplacement, fil de coton, 270 x 100 x 100 cm, 2006.

 

Un jeu de placement de points dans l’espace s’installe. L’idée de combinaison : trois points, un triangle. Quatre points, ça se complexifie. Comment, avec très peu d’éléments, on arrive assez vite à une certaine complexité. 

 

Déplacement, Fontainebleau, fil de coton, 200 x 100 x 100 cm, 2006.

 

Il y a toujours une circulation entre le volume, la peinture et le mouvement. Dans Presque-volume par exemple, les contours de chaque calque représentent le contour des formes des installations en fil de coton. Chaque niveau (calque) représente une position différente de l’espace de mon déplacement autour de la structure filaire. 

 

Presque-volume, calques, 42 x 21 cm, 2007.

 

Avec des possibilités d’inversion des calques pour avoir une profondeur et un point d’attention qui évolue.

 

Presque-volume, calques, 30 x 21 cm, 2007.

 

Presque-volume, calques, 30 x 21 cm, 2007.

 

Minimalisme complexe, Galerie du Haut-Pavé, dessins, volumes, film, 2008

 

Ceci est une exposition à la galerie du Haut-Pavé, à Paris, qui se consacre depuis 65 ans à exposer de jeunes artistes qui n’ont jamais eu d’exposition personnelle en galerie. Il y a donc un jury. La galerie a été fondée au départ par un père dominicain Gilles Vallée, passionné de peinture, ami de Matisse et de Nicolas de Staël, qui ont prêté leurs œuvres au départ pour lancer la galerie. Et depuis 65 ans, elle a toujours la même mission. Aujourd’hui je fais partie du jury de cette galerie qui donne à voir un visage de la création contemporaine, essentiellement tournée vers le volume et la peinture ; il y a relativement peu d’images (photo, vidéo). J’y avais présenté un film d’animation, de grands calques et des dessins.

 

Déplacement, acrylique et vinylique sur papier, 200 x 150 cm, 2008.

 

La peinture se poursuit sur de grands formats.

 

Déplacement, acrylique et vinylique sur papier, 200 x 150, 2008.

 

Déplacement, acrylique et vinylique sur papier, 150 x 100, 2008.

 

Cette série part d’une forme – la forme noire par exemple – qui est simplement déplacée et reproduite. Grâce à un système de caches (pochoir, forme et contre-forme) et de réserves apparaissent les niveaux successifs. C’est simplement une translation de la forme. Le papier s’étend sur le sol et la peinture est pulvérisée au pistolet.

 

Déplacement, acrylique et vinylique sur papier, 150 x 100, 2008.

 

Déplacement, acrylique et vinylique sur papier, 150 x 100, 2008.

 

Déplacement, acrylique et vinylique sur papier, 40 x 30, 2008.

 

À présent le fil cette fois-ci sur toile par une combinaison de points et de couture. 

 

Déplacement, fil à coudre sur toile, 18 x 10 cm, 2009.

 

Déplacement, fil à coudre sur toile, 18 x 10 cm, 2009.

 

Et sur de plus grands formats avec, je ne sais pas si on le sent, une envie de sortir de la forme en place, comme un soulèvement, une envie de faire bouger les choses.

 

Déplacement, fil à tapisserie sur tissu, 162 x 114 cm, 2009.

 

Déplacement, fil à tapisserie sur tissu, 162 x 114 cm, 2009.

 

Déplacement nocturne, installation, Château de Sacy, résidence, Picardie, 2009

(photo : Philippe Rolle).

 

Déplacement nocturne a été réalisé en résidence d’artiste dans l’Oise. Il y a une vidéo en stop motion où la forme à l’intérieur va jusqu’à la forme la plus à l’extérieur ; le mouvement évoque la respiration du volume.

 

Déplacement, installation, sangle teintée, Loire, 2009.

 

Une tentative de changement d’échelle : placement de points.

 

En attendant, film, L’Art dans les Chapelles, Morbihan, 2009

(photo : Stéphane Cuisset).

 

Une autre exposition a eu lieu à l’Art dans les Chapelles.

Un test d’animation a été important pour ce projet dans l’idée d’expérimentation et d’exploration du mouvement. J’avais dessiné sur un carnet un ensemble de points avec un feutre et la transparence reportait une partie des points sur le niveau inférieur, ce qui donne la possibilité d’associer les mêmes points avec différentes combinaisons. Ce qui est intéressant, c’est que, quand on en fait un certain nombre, il y a une agitation qui fourmille et en même temps une stabilité de la forme. Ça produit une tension entre une extrême nervosité et un ancrage stable. 

 


Test pour En attendant, 2009.

 

Dans ce test d’animation, il y a un ensemble de points fixes et seules varient les connexions entre les points, les dessins. Il y a donc une grande nervosité avec une stabilité. À partir du moment où on déplace des points, il y a une dimension organique de la forme et cette organicité m’a donné envie de creuser et d’explorer cette énergie qui est libérée par la forme. En attendant s’est construit sur ce principe. 

 

En attendant, 2009.

 

Ensuite un autre projet intitulé Géométrie organique a été présenté à La Force de l’Art, une triennale d’art contemporain qui a eu lieu en 2009 au Grand Palais. Le film a été réalisé sur place, dans la continuité de En attendant, avec, au fur et à mesure des films, un travail sur l’animation qui repose sur des éléments très réduits ; c’est-à-dire l’idée de faire un film simplement avec cette idée de translation, d’accélération et de décélération. 

 

Géométries organiques, film, 2009. Projet Archipel de Tanc & Vincent, La Force de l’Art 02, Grand Palais, Paris, 2009

 

Assez peu de paramètres pour laisser la place à l’improvisation, puisque c’est une animation qui n’est pas storyboardée. Il y a des dessins qui sont placés, il y a un fil rouge et, au milieu de ça, une importance capitale est accordée à la spontanéité. Cette manière d’animer vient de la pratique picturale, du rapport à la peinture qui est focalisée sur l’instant. L’animation se fait de manière très intuitive.

 

Géométries organiques, film, 3’, 2009.

 

À partir des installations réalisées avec des fils, un ensemble de boîtes a été réalisé avec du fil à coudre en petit format.

 

Déplacement, fil à coudre et carton, 16 x 10 x 13 cm, 2009.

 

J’ai fait des tests d’animation qui ont nourri les courts métrages ou qui sont restés simplement à l’état de de recherche.

 

La boîte, tests d’animation, 2009. 

 

Ici le fil est teinté de pigment phosphorescent.

 

La boîte, tests d’animation, 2009. 

 

C’est un projet qui a été déposé au CNC, qui est arrivé en plénière mais qui s’est arrêté là.

Ce qui me semblait intéressant, comme l’installation filaire lors de la résidence, c’est cette friction avec une écriture fait-main, artisanale et qui fait pourtant penser à des images numériques, conçues par ordinateur.

 

La boîte, tests d’animation, 2009. 

 

Voici une performance réalisée dans un centre d’art à l’H du Siège à Valenciennes : de l’animation directe sous caméra et les gens voyaient l’animation se faire au fur à mesure et, à la fin, l’animation est jouée. Des micros piézoélectrique amplifiaient les frottements sur le papier et remplissant ainsi tout l’espace. 

 

Tout à coup, performance, l’H du Siège, Valenciennes, 2010.

 

 J’ai eu le soutien de la DRAC pour une autre recherche, pour laquelle des tests d’animation de formes, encore plus inspirées de la danse, ont été réalisés.

 

Loops, aide Individuelle à la Création, DRAC Ile-de-France, 2011.

 

Des boucles donc.

 

Loops, 2011.

 

Ça a permis de tester des dynamiques de formes.

Ensuite est arrivé le projet Une seconde par jour dont l’objectif était de réaliser une seconde d’animation par jour pendant un an à compter du 1er janvier. Et pour financer le projet, je vendais les dessins ; à la fin de chaque mois, je postais sur Vimeo les 30 secondes du mois qui venait de se terminer. C’est un financement participatif qui a plutôt bien fonctionné à 10,00 € le dessin. Plusieurs pièces, plusieurs secondes entières ont été vendues. Curieusement, les gens demandaient beaucoup leur date d’anniversaire- ça m’a fait rire – puisqu’il y a un tampon de la date sur chaque dessin. Le projet a été présenté en galerie et en festival. J’essaie, tant que c’est possible, d’avoir ces deux configurations, ces deux présentations possibles parce qu’il y a un rapport à l’espace : par exemple l’écran de la galerie devait faire 10 sur 15 cm, c’est donc un rapport à l’image anti-spectaculaire. Cette vitrine donnait sur la rue et les passants pouvaient ne pas le remarquer. L’espace d’art donne à voir aussi la matière du film. Il n’y a que l’animation qui permette d’avoir simultanément l’original entre les mains et un multiple (le film).

 

Une seconde par jour, film, dessins, Galerie Jean Brolly, Paris, 2012.

 

Une séquence de 100 dessins d’Une seconde par jour a été présentée dans un autre espace d’art aux États-Unis avec projection plus cinématographique.

 

Une seconde par jour, installation film, dessins, Fire Barn Gallery, MI, USA, 2012.

 

Voici une autre présentation d’Une seconde par jour lors d’une exposition sur la propriété intellectuelle dans un autre centre d’art à Paris.

 

Une seconde par jour, vidéo / Propriété intellectuelle, Immanence, Paris, 2011.

 

Lors d’une résidence à l’Abbaye de Fontevraud, j’ai développé le projet Paysages intermédiaires qui est un peu une réaction à Une seconde par jour puisque faire 25 dessins par jour n’était possible qu’en noir et blanc. Au départ, je voulais le faire en couleur, mais c’était trop difficile de prendre en compte ce paramètre, ça rendait la chose trop complexe. Dès les premières semaines d’Une seconde par jour, j’ai dû vivre avec un manque de couleur pendant toute l’année et je savais que le projet suivant serait saturé en couleur.

 

Paysages intermédiaires, résidence, Abbaye de Fontevraud, Maine-et-Loire, 2012.

 

J’ai réalisé quelques tests pour ce projet dont l’idée est un peu un retour à la figuration. À l’issue d’un voyage en Asie, je voulais rapporter du matériel pour faire un film et j’ai dessiné deux fois chacune des situations dans lesquelles je me trouvais. En repensant à McLaren, “ce qui se passe entre deux photogrammes est plus important que le photogramme lui-même”. L’idée du film c’est donc : que peut-il y avoir comme animation possible entre deux dessins ? Aller d’un dessin à l’autre. Il peut y avoir les intervalles réguliers d’un personnage qui se lève ou, au contraire, c’est un espace qui permet un déploiement poétique de la forme. 

 

Tests pour Paysages intermédiaires, 2012.

 

À chaque fois, le principe consiste à aller du dessin A au dessin B. Mais à l’issue de ces tests, la couleur n’était pas assez présente, assez forte. Je pensais aux papiers découpés de Matisse et cette idée d’avoir la couleur déjà là. Cette exposition présente un ensemble de travaux et sur le mur du fond se trouve le storyboard du projet.

 

Images secondes, espace d’art contemporain Camille Lambert, Juvisy-sur-Orge, 2014

(photo : Laurent Ardhuin).

 

Le projet Paysage intermédiaire est donc en papier découpé et, afin d’avoir une légère sensation de volume, une vitre sépare les couches, c’est un multiplan écrasé. 

 


Paysages intermédiaires, film, 9’, 2018.

 

L’empilement des papiers donne à voir un objet intitulé chronotopographie – je n’ai pas trouvé d’autre nom.  Un objet qui donne des indications de temporalité et qui dessine simultanément un paysage qui se dresse en volume.

 

Paysages intermédiaires, chronotopographie, papiers découpés superposés, 2015-18.

 

Ces éléments ont été présentés soit à plat, soit frontalement en proche banlieue parisienne. Outre la projection du film sur une grande toile suspendue, un autre vidéoprojecteur projette sur le plan de la table le line-test de tout le film, c’est-à-dire le film à la ligne et inversé, ce qui fait qu’il y avait une ligne blanche qui s’animait. Enfin, une troisième vidéoprojection présentait le texte du critique Karim Ghaddab.

 

Paysages intermédiaires, orangerie, Sucy-en-Brie, 2018 (photo Ville de Sucy).

 

Il y a eu d’autres configurations. Ce qui est particulièrement intéressant avec les centres d’art et les galeries, c’est d’avoir une confrontation et une expérience différente de l’animation par un changement d’échelle, une invitation au mouvement par la circulation et une possibilité de présenter la matière tangible du film.

 

Paysages intermédiaires, Carré noir, Le Safran, Amiens, 2018.

 

Percussion est un projet qui est resté à l’état d’expérimentation. Après ces milliers de papiers découpés, j’avais besoin d’un peu de violence et de maltraiter la matière en prenant des blocs de papier, en observant et en les photographiant image par image.

 

Percussion, papier, 2019.

 

J’ai fait un test en collaboration avec le compositeur Daniel Sonabend.

 

Percussion, papier, 2019.

 

Percussion, papier, 2019.

Percussion, papier, 2019.

 

Dans une des séquences, le bloc de papier a été creusé à la meuleuse. On exécute un mouvement, mais on ne connaît pas vraiment le mouvement que ça produit.

 

La dérive, film, 2021.

Atelier du Hézo – d’art contemporain, Vannes, 2023.

 

Le projet La dérive a été réalisé pendant le confinement. L’idée de départ, la règle de jeu, c’est de dessiner une forme, décalquer cette forme puis décalquer la forme obtenue. Et j’ai beau m’appliquer et la forme se met à se transformer perpétuellement et migre dans différentes parties de l’écran.

 

Les aires, Biennale Internationale Design Saint-Étienne, Pont Salomon, 2022.

 

Les aires est un projet récent qui part d’une forme qui s’appelle une aire, à savoir une sorte de pavé métallique facetté que les métalliers utilisaient pour façonner les faux pour faucher. C’est une très belle forme que l’on entrevoit sur le visuel dessiné en grattage sur pellicule et projeté sur le mur. J’ai cherché à extraires les mouvements possibles poétiques contenus dans cette forme lourde qui a une inertie très forte et, à travers du grattage sur pellicule, les diapositives, des animations 3D et une animation 2D numérique, voir comment pouvez cohabiter des fragments d’animation. Friction des écritures du mouvements et friction des techniques. Il y a une captation qui dure une minute. 

 

Les aires, Biennale Internationale Design Saint-Étienne, 2022.

 

Les diapositives sont des photos des ombres portées de ces objets.

 

Les aires, Manoir de Soisay, Orne, 2023.

 

Ce projet a été présenté l’été dernier dans une grange qui accueille des expositions estivales en Normandie, la grange du Manoir de Soisay, ce qui a permis de montrer cet ensemble sous d’autres formes, d’autres confrontations, notamment la forme modélisée animée en 3D sur fond noir ; ceci installe un rapport intense à l’architecture et à la surface dès lors que le cadre cinématographique disparaît.

 

Les aires, Manoir de Soisay, Orne, 2023.

 

Le projet actuel s’intitule Instabilités. Il vient d’être présenté dans un centre d’art contemporain en banlieue parisienne. L’idée de départ consiste à concilier une forme d’aspect architectural et simultanément de biomorphisme et à observer quelle tension il peut y avoir entre la ligne droite et la courbe.

 

Instabilités, construire – corrélations entre le dessin et la céramique,

espace d’art contemporain Camille Lambert, Juvisy-sur-orge, 2023

(photo Laurent Ardhuin).

 

Instabilités a été réalisé suite aux Formes du mouvement, ce groupe de recherche auquel Georges [Sifianos] et moi avons participé au sein des Arts Déco. Dans ce groupe de recherche, dirigé par Serge Verny et Nicolas Nemitz, divers intervenants, psychologues, biologistes ou physiciens, sont venus. Un des biologistes parlait de la cellule et du cytosquelette qui est cette structure tubulaire qui donne un maintien et une stabilité au volume de la cellule et je trouve que c’est une idée qui offre un potentiel poétique très exaltant. Le film part sur cette possible stabilité/instabilité des formes qui cherchent désespérément une stabilité, mais qui n’y parviennent pas. 

 

Instabilités, construire – corrélations entre le dessin et la céramique,

espace d’art contemporain Camille Lambert, Juvisy-sur-orge, 2023

(photo : Laurent Ardhuin).

 

Il y a eu un premier test d’animation pour ce projet. La musique est jouée par un batteur et percussionniste de free jazz : Ramon Lopez.

 

Instabilités, test, 2023.

 

 

Georges Sifianos : J’aimerais que tu développes le rapport de la musique avec la forme. 

Ensuite, si on pense aux standards de l’animation, notamment du cartoon (anticipation, follow-through, etc.) j’ai le sentiment que dans ton travail, on trouve quelque chose de différent, un autre type de mouvement, un autre rapport au mouvement.

Et un troisième sujet : d’abord, je dois dire, j’étais assez surpris d’entendre que tu t’es orienté vers l’abstraction à partir de la visite de Venise. Mais le plus intéressant, ce sont les rapports entre la matière malléable et les tracés réalisés avec fermeté que je constate dans ton travail. 

Dans certaines animations, on découvre des lignes très affirmées, peut-être tracées à la règle et, dans d’autres, tu intègres la matière organique et imprévisible, comme dans les tout premiers travaux, Sous l’escalier, par exemple. Il y a un va-et-vient entre l’épuration et une revendication de la matière qui émerge à nouveau. 

 

Sous l’escalier, 2006.

 

Richard Negre : Ce qui est unique et propre au médium de l’animation, c’est un mouvement qui émerge ex nihilo, qui jaillit d’on ne sait où. Il y a une part de mystère qui me questionne et qui m’encourage naturellement à renouveler cette expérience d’animer une forme et, au moment du test, je vois un mouvement que j’avais orienté, envisagé, mais qui n’est jamais exactement le même que celui que j’avais en tête et que je ne peux comparer à aucun autre mouvement.

 

Une seconde par jour, 2012.

 

GS : Dans Une seconde par jour, comment planifies-tu les mouvements, comment aboutit-on à cela avec parfois des répétitions 

 

RN : Pour Une seconde par jour, c’est la grande leçon de Robert Bennett, je mime le mouvement même si c’est un triangle qui bouge ou un point. Systématiquement.

C’est inévitable pour moi parce que c’est aussi une manière de danser, d’avoir un fragment de danse et, de manière sous-jacente, je pense que j’aurais aimé chorégraphier, c’est quelque chose qui m’aurait beaucoup plu. Les films ont une ambition de mise en place d’éléments qui cohabitent ensemble et qui bougent en synchronisation ou en désynchronisation. 

 

GS : Tu mimes physiquement avec ton corps ?

 

RN : oui, je mime physiquement avec le corps. Ensuite, une fois que l’impulsion est donnée… Pour le projet Une seconde par jour, j’utilisais des layouts, des calques où je dessinais une trajectoire de mouvement sur laquelle je pouvais, de manière très précise, agir sur les accélérations, les décélérations et les amortis. Je recherchais une grande souplesse et simultanément une nervosité arrive peut-être au moment de la matière – ce que tu as dit tout à l’heure. Une matière qui remonte à la surface. Il y a un doute qui est écarté concernant la nature de l’image, c’est-à-dire, non, ce n’est pas une image faite par ordinateur, mais bien à la main parce que c’est la main que je cherche aussi à rendre visible. La main est primordiale.

Par rapport à ce que tu demandais sur la façon dont émerge le mouvement, il émerge aussi des dessins. Dans la série Instabilités, chaque dessin porte déjà en lui un mouvement en puissance, par des directions, par des tensions internes, par des un hors-champ – un dessin qui court jusqu’à la marge. Et donc quand je dessine, il y a déjà de manière embryonnaire des possibilités de mouvement. Le dessin me renvoie ces possibilités et, au moment d’animer cette forme, je suis habité par le mouvement que j’ai en tête, je fais déplacer cette forme et, dans cette course, cette forme se transforme et je constate des configurations nouvelles de la forme c’est-à-dire que les intervalles, le chemin pour aller un point à un autre, offre encore d’autres configurations de dessins, des dessins que je n’aurais pas pu faire si j’avais voulu les faire. Il y a donc une circulation entre le dessin qui nourrit le mouvement et le mouvement qui nourrit le dessin, sans qu’il y en ait un qui commence.

 

GS : Je perçois une envie d’abstraction et en même temps une envie de matière, de biomorphique. Je me demande si cette envie d’abstraction sert à calmer le “bavardage” de la nature. Il y a tellement de choses que les formes disent. Dans le paysage que j’ai derrière moi, on est perdu.

 

 

RN : En effet, il y a de ça. Et même plus. Ça permet de se concentrer, de ne pas se rattacher directement à une narration, c’est-à-dire que, si je dessine une fleur, ça raconte une fleur. Mais là, ça raconte davantage des tensions et des relâchements. Et en effet, c’est une manière de réduire le bavardage, même si dessiner une fleur, c’est merveilleux. Mais au moment de l’animation, je reste dans ce registre non figuratif.

 

Zepe : Oui, c’est plutôt non figuratif qu’abstrait. 

Il me semble que tu es beaucoup plus préoccupé avec la dramaturgie qu’avec la narration. 

Quand je regarde des films d’animation en festivals, il m’arrive de me détacher de ce qui est raconté et de simplement regarder les formes. Je n’arrive pas à suivre le scénario et, une fois le film fini, je me rends compte que j’ai vu un film, que j’ai senti des choses, mais pas une histoire. 

Dans deux films de Paul Driessen, Une vieille boîte et Les taches de la vache (Het scheppen van een koe), je retrouve des mouvements semblables à certains de tes films, comme s’il y avait une couche sous-jacente, une même préoccupation dramaturgique à travers les formes et à travers les lignes. J’arrive à avoir des sensations similaires dans un film figuratif et dans un film non figuratif.

 

Une vieille boîte, Paul Driessen, 1975.

 

Tu connais sûrement le travail de Robert Breer A man and his dog out for air. Là aussi, mais de façon différente de Driessen, des traits évoluent, on devine des paysages, une laisse de chien, un effort musculaire d’un homme qu’on ne verra jamais. Pourtant on ne peut pas trouver de figuratif dans ces lignes qui se montrent et se dissolvent, c’est plutôt une sorte d’énergie qui fait entrevoir et sentir des choses…

 

A man and his dog out for air, Robert Breer, 1960.

 

RN : Oui, ce ressenti sur deux formes cinématographiques si différentes est assez mystérieux en effet. Je dirais que c’est l’énergie plus que le mouvement, l’énergie libérée par la forme en mouvement qui serait commune ? Je réponds par une question : serait-ce le point commun ou la charge poétique ? Dès lors qu’un point se déplace, il y a une dramaturgie de manière intrinsèque. Une amie comédienne avait vu le film En attendant, avec les points reliés, et a instantanément dit qu’il y avait une dramaturgie là-dedans. C’est une question que je ne m’étais pas du tout posée. Le son renforce, souligne et intensifie aussi cette sensation dramaturgique. 

 

En attendant, 2008.

 

GS : Len Lye, que tu as évoqué au début, défend cette idée qu’un morceau de fer qui rouille raconte une histoire.

 

William Henne : Cet ensemble de films retrace les enjeux spatiaux qui ont traversé une partie de l’histoire de l’art depuis la Renaissance jusqu’aux cubistes, et ont traversé d’autres avant-gardes du XXè siècle, comme les suprématistes. Cette tension entre l’espace plan et l’espace volumétrique est résumé dans ces films : y compris dans les compositions les moins figuratives, il y a encore des effets de perspective, il y a une déconstruction de l’espace et aussi des espaces en feuilleté avec les calques ou les compositions multiplanes. On refait, à travers ces films, tout ce chemin, depuis l’espace perspective qui a été construit à la Renaissance jusqu’aux cubistes qui l’ont déconstruit et recréé d’autres types d’espaces, où parfois les formes semblent émerger de la toile.

 

 

Sur l’aspect temporel, les chronotopographies font beaucoup penser au dessin vectoriel puisqu’on a des coordonnées topographiques autour desquelles les compositions vont se mouvoir par interpolation, non pas mécanique, mais subjective, et la dimension organique dont tu parlais se perçoit dans les accélérations et les décélérations du mouvement. 

Dans Paysages intermédiaires, lors de la résidence à Fontevraud, lorsqu’on passe d’une figure à une autre, ça ne procède pas du morphing, ça procède davantage d’une forme de déconstruction et de reconstruction pour passer d’une figure à l’autre, avec cette tension au niveau temporel donnée par l’accélération et la décélération.

 

Tests pour Paysages intermédiaires, 2012.

 

RN : En étant aux Gobelins, je découvre simultanément l’histoire de l’animation et je me rends dans les galeries et les musées. Et j’étais complètement déconcerté – art contemporain, urinoir de Duchamp, etc – j’avais besoin de temps pour assimiler tout ça. Et dans le film de fin d’étude que j’ai réalisé aux Gobelins, j’en ai profité pour creuser, pour découvrir et pour approfondir l’histoire de l’art en animant. Ce film était d’une ambition folle et incompréhensible quand on le regarde, mais il m’a permis de mettre à la suite les œuvres de Mondrian, qui forment une animation en fait, ou celles de Matisse, ses bas-reliefs, ses simplifications de forme. Il y a cette phrase que Gustave Moreau, le chef d’atelier, qui dit à Matisse : ” vous allez simplifier la peinture”. C’est un scénario en soi. Et dans ce film de fin d’étude, j’ai pu mettre le nez dans ces œuvres, plutôt tirées de l’art moderne que de l’art contemporain. Le souci de l’histoire de l’art est peut-être trop présent, mais exprime un besoin de comprendre et de mieux se situer. Comme quand on est déconcerté en arrivant dans une galerie et de voir une installation : qu’est-ce qu’on fait avec ça ?

 

 

Isabelle Aboim Inglez : Tu as déjà évoqué la question de présenter des films en galerie : est-ce que lorsque tu réalises le film, tu penses déjà au dispositif de présentation et à ce type de réception spécifique du spectateur ? Je pense aussi en particulier à la projection de Les aires sur un mur de briques.

 

RN : Ça dépend. Ça n’oriente pas le projet. Mais s’il y a moyen de montrer une qualité physique du film – parce qu’une fois encore cette technique traditionnelle d’animation le permet – s’il y a moyen de montrer la matière du film, je cherche des occasions de mettre les deux en relation : immobilité et mouvement, pour avoir cette confrontation physique. Je suis toujours étonné de voir à quel point les œuvres, quelles qu’elles soient, un dessin, une photographie, constituent une expérience. Même une photographie qu’on voit soit sur un écran, soit publiée dans un magazine : avoir un tirage dans un format beaucoup plus grand que ce qu’on imaginait génère une émotion, une expérience assez forte.

 

Les aires, 2022.

 

Isabelle Aboim Inglez : Quand je vois tes films, je vois que l’architecture et l’espace sont déjà présents dans les images mais aussi dans la relation que le dispositif propose aux spectateurs avec tes œuvres.

Tu as déjà répondu sur la question narrative. C’est aussi mon approche mais y a-t-il dans tes films un début, un milieu et une fin ou peut-on les voir à l’envers par exemple ? 

 

RN : Ça ne se perçoit pas forcément mais les métrages sont vraiment pensés et réalisés dans l’optique d’être vus dans une salle, assis, dans ce format, avec un début et une fin. Mais je comprends que ça puisse questionner.

Par rapport à l’architecture, ma femme est scénographe d’exposition et naturellement on se nourrit l’un l’autre dans le rapport à l’espace, à la présentation, à la disposition, à l’agencement, à la circulation : ce sont des notions qu’elle m’a fait découvrir, surtout la notion de circulation dans un espace.

 

 

Anton Henne : Ce qui m’a interrogé à la vue des court-métrages, c’est de savoir à quel moment tu prends plaisir dans la fabrication parce que tu nous as montré plein de tests. Les premiers courts métrages, on les sent faits de façon très spontanée, sur le vif, avec une espèce de désir d’animer et celui que tu as fait à Fontevraud est plus laborieux. Y a-t-il dans la suite un désir de repartir vers quelque chose de plus spontané ?

 

RN : C’est bien senti en effet, parce que c’est le cas :  de manière systématique, il y a du plaisir au départ, une envie, un enthousiasme. C’est inconcevable de s’embarquer dans de tels projets s’il n’y a pas cette énergie initiale. Pour Fontevraud, c’est un film qui a généré des frustrations au milieu, surtout par rapport au CNC : le film est monté deux fois en plénière, il était soutenu par les lecteurs et à la fin il n’a eu aucun soutien et je l’ai assez mal vécu. Le film a donc été mis de côté pendant un an et j’ai réalisé d’autres films que je ne vous ai pas montrés ; ce sont des films narratifs dont le principe est de visiter une exposition d’art contemporain et, chaque fois que mon regard se pose sur une œuvre, elle s’anime, se déconstruit et se reconstruit. Ce sont des films qui ont été faits de manière extrêmement spontanée. J’avais besoin de faire autre chose parce que la frustration et la déception avaient complètement chassé l’enthousiasme du départ. Et en faisant ces projets et en laissant de côté la réalisation du film pendant 1 an, l’enthousiasme est revenu. Et pour répondre à Isabel, il y avait la volonté de finir ce film. Si je me plante, je me plante peut-être jusqu’au bout mais faut se planter vraiment. J’ai besoin d’acter la chose et ensuite on passe à un autre projet. Je ne voulais pas laisser le projet en suspens notamment parce que l’Abbaye de Fontevraud l’avait soutenu et même s’ils n’attendaient pas de film terminé, je me sentais dans cet échange-là. Ça avait du sens. Et en effet, pour Paysages intermédiaires, il y a une partie qui a été laborieuse et particulièrement laborieux au moment de la prise de vue. Elle a duré un an et demi puisque c’est animé à l’image et il y a peut-être 8.000-10.000 papiers découpés, et, à chaque fois, le placement d’une plaque de verre entre les différents niveaux de couleur. Et rien que ce temps-là de placer la plaque, l’enlever, la remettre, c’était assez physique. Dans ces moments-là, je suis un peu comme un robot.

Par rapport à la spontanéité, c’est précisément cette animation-là que je défends, avec, à chaque fois, une structure préalable. 

 

Tests pour Paysages intermédiaires, 2012.

 

Paysages intermédiaires, 2018.

 

Vincent Gilot : Le son se fait après, j’imagine, alors que l’image a l’air d’être assez spontanée, conçue, prise à travers des règles précises. Le travail, jour après jour, est réglé comme du papier à musique. Quelle est la liberté que vous prenez par rapport à vos expérimentations ? Est-ce que vous montrez tout, y compris ce qui n’a pas marché, ou est-ce que vous remontez les boucles, les morceaux pour en faire un objet total en même temps que le montage du son ?

 

RN : Par rapport à Une seconde par jour, tout est montré – mais les autres films s’inscrivent dans la même logique. En revanche ce qui s’est passé avec Une seconde par jour, quand il y a des passages qui ne me convenaient pas, j’étais plutôt dans une dynamique de compensation, c’est-à-dire que si je sens que le premier mois, il y a quelque chose à réajuster, je vais tenter le mois suivant de compenser. L’accident fait partie du processus, et l’accident peut être perçu par certains, et pas par d’autres. L’expérience qui est faite du film par les spectateurs ne m’appartient plus.

 

Une seconde par jour, 2011.

 

Par rapport à la musique, ça se fait au fil des rencontres et des univers musicaux. Par exemple, sur le dernier projet, c’est un batteur de free jazz que j’ai rencontré et dont j’apprécie énormément le travail. Dans le film de Louis Malle, Ascenseur pour l’échafaud, Miles Davis réagit sur les images projetées et j’ai envie de tenter ça avec lui ; une fois que le film sera achevé, de le projeter en boucle parce qu’évidemment ce n’est pas un long métrage et de voir comment il réagit. Il est partant.

Pour La dérive, le film réalisé pendant le confinement, c’est une compositrice grecque Georgia Spiropoulos que l’Abbaye de Fontevraud m’avait présentée. Et quand j’ai découvert son travail, j’ai tout de suite été séduit et je lui ai envoyé quelques secondes d’animation pendant le confinement et elle m’a dit “Richard je n’ai pas le temps de faire une musique pour toi, en revanche j’ai des mouvements musicaux au saxophone qui peuvent correspondre”. Et quand elle me les a envoyé, il y avait comme une évidence, ça répondait à une sorte de gravité du moment si particulier qu’on a vécu. La musique a apporté cette dramaturgie-là parce qu’on sait bien que la musique a une grande part de responsabilité dans la charge dramaturgique d’un film.

 

 

VG : Les films sont montés après ou sont-ils découpés avant storyboard ou y a-t-il un remontage ?

 

RN : Tout est assemblé à la suite.

 

Z : Petite anecdote : dans la 8ᵉ prise d’un morceau d’Ascenseur pour l’échafaud, il y a un morceau de peau de la lèvre de Miles Davis qui est rentré et a circulé dans la trompette. On peut l’entendre dans les prises alternatives sur le bonus.

 

GS : Dans un de tes films, 27 décembre 2013, on voit des dessins et du papier coloré, découpé, masquant parfois les traits de crayon. Ce qui me ramène à la question de la souplesse de la matière et de la fermeté du traitement de la forme que j’évoquais plus tôt. Est-ce que tu peux envisager d’utiliser des formes plus texturées, à la limite du figuratif, avec la façon dont tu gères les mouvements ? Parce que tu imites physiquement les mouvements. Cette abstraction est une solution, mais ce n’est pas la seule. Tu flirtes avec la texture, quand tu rappes ta rame de papier, quand tu creuses le papier avec une meuleuse, quand tu y enfonces des clous. Comment le mouvement émane de la matière ? Y a-t-il d’autres formes de mouvement qui peuvent émerger ?

 

 

RN : Il y a un appétit porté sur la matière et sur le geste. 

Pendant la thèse de doctorat, j’avais mis le nez dans Processing [carnet de croquis numérique] pour voir comment on pouvait animer par d’autres chemins. Il faut passer du temps. Il en ressort que, que ce soit sur Processing ou sur des logiciels 3D, quand j’ai modélisé des figures, il y a un manque et je reviens toujours au carnet dessiné. Ce plaisir immédiat de la forme qui émerge du rapport à la matière et à la sensualité m’appelle et me guide. Cette facilité du crayon à faire émerger un monde, des potentialités avec une économie de moyens.

 

GS : Pour clarifier ma question, je donne un exemple : Jacques Lecoq est très important dans le monde du théâtre. Dans un de ses cours, il froissait une feuille de papier glacé et proposait aux étudiants d’observer son mouvement, de la première décrispation, au déploiement et jusqu’à l’immobilité finale. Il faisait le parallèle entre l’expression dramatique dans le mouvement du papier et celle d’un homme blessé avec sa crispation pendant l’agonie avant l’abandon par la mort. 

Un autre exemple, ce sont les exercices que je donnais à l’ENSAD, que vous continuez peut-être à proposer toujours : dans ces exercices, on cherchait à inventer des mouvements originaux émanant de la texture. On cherchait une adéquation et une continuité entre texture, forme, mouvement, personnalité, dramaturgie, etc. allant jusqu’à la mise en scène.  

 

RN : En déménageant, je suis retombé sur croquis de modèles vivants que j’avais fait et, à ma grande surprise, ça résonnait vraiment avec les formes abstraites, c’est-à-dire qu’au final c’est le corps qui est représenté même si la forme est abstraite. Cette forme géométrique, cette tâche, cette ligne, cette courbe m’interpellent parce que ce rapport au corps demeure présent. J’ai eu une grande émotion à revoir ces dessins. Un corps nu, c’est très émouvant.

 

GS : Pour rester dans la matérialité encore : tu nous as montré au début un ensemble de volumes colorés. On n’a plus revu cela dans la suite de ton travail. Quelle perspective peut-on envisager à partir de ces petits volumes et les mouvements que ça peut produire ?

 

RN : Chaque forme est un mouvement en puissance. C’est ce qui me nourrit. Ensuite, animer des objets de cet ordre, c’est une autre manière d’animer qui ne me correspond pas, je pense. Le dessin reste ma pratique. 

 

GS : Dans Paysages intermédiaires, tu utilises quand même le volume.

 

RN : Le volume, envisagé comme information de mouvement : un volume immobile qui contient un mouvement en puissance, donc le passage du volume au dessin et du dessin à l’animation qui crée le volume, qui crée l’empilement, une forme de circulation entre les supports, les surfaces.

 


Paysages intermédiaires, 2018.

 

GS : As-tu parfois envie de partir de la musique ?

 

RN : Oui. La musique génère des envies, ou réveille des intuitions, ouvre des perspectives. La musique nous pénètre de façon immédiate.

À Montréal, j’avais rencontré Jean-Pierre Gauthier, un artiste sculpteur qui fait des installations sonores et je suis entré en contact avec lui pour utiliser ses sons et quand il a vu le résultat, il m’a dit que pour le prochain film, il ferait la musique. Ces échanges sont réjouissants. L’espace qu’apporte le son, son hors-champ, tout ce qui peut manquer à l’image.

 

GS : Je constate qu’en France, au CNC par exemple, on favorise une dramaturgie narrative : il faut raconter des histoires. Or, tu es dans l’abstraction. Ça pose la question de l’identification dans les films abstraits. Comment peut-on s’identifier ? faut-il s’identifier ? S’identifie-t-on quand on voit un personnage avec sa psychologie ou s’identifie-t-on grâce au mouvement ?

 

RN : Je suis en phase avec les formes que je propose et je regrette de ne pas avoir trouvé des lecteurs en commission susceptibles de soutenir ces projets-là au sein du CNC. Mais la chose la plus essentielle qui rend possible ces films, c’est l’enthousiasme. Quand j’ai senti que ces résultats me menaçaient, je me dis que je ne peux pas dépendre à ce point des institutions ou de circuits auxquels je ne corresponds pas. Il s’agit de trouver d’autres circuits comme les centres d’art ou les résidences, d’autres moyens de production. Je me suis donc organisé en fonction. Ça m’arrive de redéposer des projets, mais pas avec les mêmes attentes.

Concernant l’identification, le mouvement suffit à créer une identification. Je crois que c’est ce que disait William sur l’accélération et la décélération, l’organicité. Si c’est un mouvement qui produit un flux uniforme, sans arc de mouvement, comme dans certains films de Lapoujade où les séquences peuvent être assez linéaires, on peut se poser la question. Mais dès lors qu’il y a des accélérations, décélérations, retards, ça résonne, il y a quelque chose de familier.

WH : C’est tout le rapport au corps, comme dans la peinture, surtout quand elle est monumentale et expressive, à travers son côté gestuel, qui autorise une forme de projection de la part du spectateur, à un autre degré, puisque la dimension du temps n’est pas présente comme dans l’animation.